Portrait Narratif BAM Graffeur
Lundi 13 Novembre 2023
Entre BAM Graffeur et moi la rencontre était évidente !
Coach professionnelle, formatrice en Communication Non violente et Praticienne Narrative, j’accompagne les personnes et les collectifs au travail. J’ai également une activité de relation d’aide auprès des particuliers où je reçois des enfants et leurs familles quand ils rencontrent des difficultés qu’ils ont du mal à affronter à un moment de leur vie.
Lorsque j’ai découvert les graffs de BAM dans les services pédiatriques des hôpitaux, je l’ai contacté pour en savoir plus sur son activité et son engagement. Il a été très intrigué en retour par mon travail avec les histoires des gens alors nous nous sommes entretenus narrativement pour faire connaissance à partir des pratiques qui nous sont chères.
Aussi, j’avais l’intuition que BAM pourrait être très inspirant pour d’autres personnes, notamment des jeunes qui cherchent leur voie. A l’issue, de notre conversation, ce fut une certitude.
En voici un extrait choisi. Très bonne découverte à toutes et tous !
Christelle HIDE
Mes frères m’appellent « Jeff » mais toutes les personnes qui me rencontrent en dehors de ma famille m’appellent « BAM ». C’est mon nom d’artiste.
– Ok BAM 😉 Peux-tu me parler de ta passion pour le dessin. Comment en es-tu arrivé à graffer dans les hôpitaux ?
– J’ai toujours dessiné des graffitis. A l’école, chez moi. Je customise des baskets, aussi, depuis plusieurs années. Je publiais mes différents travaux sur les réseaux sociaux quand l’hôpital de Compiègne m’a demandé de décorer les murs de la cantine, il y a huit ans. Le rendu a plu à tout le monde et j’ai reçu d’autres demandes dans la foulée. C’est comme ça que j’ai commencé.
– Aujourd’hui tu es orienté vers les services pédiatriques. Qu’est-ce que ce choix de t’adresser aux enfants en particulier pourrait nous dire de tes aspirations ?
– Je suis resté un grand enfant. Je rêve, je suis dans mes pensées. J’ai moi-même trois enfants, Marceau, Charly et Joséphine. Qu’il s’agisse d’eux ou des enfants hospitalisés, j’ai une facilité à entrer en contact avec eux, à me connecter à eux. Sentir ce qui les fait vibrer. Je suis même plus à l’aise avec les enfants qu’entre adultes. Chaque fois que c’est possible, j’adore assister à ce moment où ils découvrent mes graffs ! L’importance pour eux de ces dessins, sentir qu’ils quittent un peu l’univers blanc, austère et anxiogène de l’hôpital pour entrer dans l’animé, les souvenirs de personnages iconiques. Ces regards me nourrissent d’une manière incomparable.
– Vois-tu d’autres choses que cela t’apporte de dessiner pour les enfants hospitalisés comme tu le fais ?
– Ce qui me vient c’est un souvenir d’enfance : quand je me suis cassé le bras et que j’ai été hospitalisé une semaine. J’avais peur dans ce lieu, cette chambre. Ça marque…
– Je comprends…Que dirais-tu que tu fasses lorsque tu dessines pour les enfants sur les murs de leurs couloirs, de leurs chambres dans ce contexte hospitalier ?
Je leur permets une fenêtre d’évasion. D’imaginaire. De bien-être dans un moment difficile, parfois vraiment très dur et plus ou moins long de leur vie. Les enfants sont innocents mais la maladie, la souffrance fait perdre cette innocence. J’essaie de la leur faire un peu conserver. Lorsque je dessine des personnages de dessins animés que je mets en scène, par exemple, je suggère dans ces chambres l’idée, la sensation, d’une salle de jeux.
– De mon côté, j’avais déjà vu quelques dessins sur les murs des hôpitaux mais tes graffs m’ont tout de suite beaucoup plus attirée, émerveillée moi aussi, comme ils émerveillent ces enfants finalement (NDLR : Pour un aperçu de son travail: Profil LinkedIn de BAM). J’observe aussi que tu es de plus en plus sollicité par les hôpitaux. Que dirais-tu que tu aies comme talents spéciaux, comme « trucs en plus » que les services pédiatriques viennent chercher auprès de toi ?
– Je mets au centre de tout le plaisir de l’enfant et comme je sais ce qui lui fera plaisir alors je sais parler son langage et activer son imaginaire. Je sais quoi dessiner pour le faire s’évader.
– Aurais-tu un exemple à me donner qui illustre ce savoir ?
– Quand je dessine SIMBA (NDLR : héros du dessin animé « Le roi Lion » des studios Disney) qui entre dans la chambre d’hôpital d’un enfant ou, plus récemment, un Panda qui « sort du mur » dans le couloir d’un foyer pour des enfants placés, je sais que je prends la vision de l’enfant, que je rentre dans son monde et que ça va lui apporter du plaisir dans un moment difficile.
J’ai dû expliquer à un médecin qui me sollicitait, que je ne trouvais aucun sens à dessiner une Tour Eiffel ou un monument pour ce jeune public parce que, même très bien dessiné (notamment par d’autres artistes) cela me calerait sur la vision de l’adulte, pas sur le plaisir de l’enfant. Or, c’est l’enfant qui est accueilli. C’est lui qui a peur et que l’on doit mettre en confiance !
– Ce refus à ce médecin de faire le dessin qu’il voulait que tu fasses, qu’est-ce qu’il pourrait nous dire de ce que tu veux voir vivre vraiment quand tu crées dans ces contextes-là, BAM ?
– Je veux pouvoir donner à ces enfants la possibilité de croire encore à la magie, à l’émerveillement, garder le plus longtemps cette innocence et cette âme d’enfant. C’est important de garder ça, qui plus est dans un contexte de maladie.
– J’imagine que cette magie, tu la fais vivre dans d’autres contextes…?
– Oh oui ! Moi je ne suis pas d’accord pour délivrer le secret du Père Noel, tu vois ! (Rires)
Dans la chambre de l’un de mes fils, j’ai dessiné en trompe-l’œil un trou de souris pour que la souris passe y récupérer ses dents de lait. J’aime faire marcher cet imaginaire au service des choses qui sont belles. Des belles histoires. Je n’ai que ça à proposer aux autres. Le dessin est mon seul talent et c’est important de donner quelque chose de moi aux autres.
– Qu’est-ce qui est important dans le fait de donner quelque chose de toi et de ton talent aux autres, BAM ?
D’abord, montrer qu’il y a du bon en chacun et aussi, que l’on peut faire quelque chose de bien en partant de rien si on reste à l’affût, qu’on écoute les ressentis des autres pour leur créer encore plus de plaisir. Cela encourage aussi à se dépasser dans la vie et à dépasser les critiques quand elles arrivent.
– Tu aurais une histoire à me raconter qui illustrerait ces convictions que tu portes ?
– On m’a dit dans ma carrière, que l’art du Graffiti, je le « prostituais » en le découvrant au monde, en le sortant de la culture sous-terraine de ses origines comme je l’avais fait en représentant la ville de Deauville à Lexington aux États-Unis où je customisais des chevaux en résine. Je ne suis pas d’accord ! Je le partage, c’est différent. Plus que le dessin en lui-même, ce qui m’importe c’est de le partager pour que ça fasse plaisir aux autres comme ça me fait plaisir à moi d’en admirer. C’est cela qui m’enrichit vraiment.
– Connaître son talent, le mettre au service des autres pour les aider…Quelque chose ou quelqu’un t’aurait aidé à en prendre conscience, de ce talent, dans ta vie ?
– Plusieurs personnes, oui.
Un policier. J’avais 16 ans et un jour, j’ai été en garde à vue pour des bêtises que j’avais faites. Il a été bienveillant, prévenant sur la pente que je prenais et qui pourrait m’attirer des ennuis si je continuais.
Juste un peu avant cet épisode, ma professeure d’Arts Plastiques m’a fait les premiers retours « professionnels » sur mon coup de crayon qui m’ont bien éclairé. Ma professeur de français aussi. Elle appréciait beaucoup mon écriture, la manière dont je formais les lettres. Alors que je n’étais bon en aucune autre matière ni même en français !
Malgré ces retours, je ne croyais pas à ce talent, dans le fond. Je l’ai ignoré longtemps. Mais ça m’a aidé à prendre confiance quand j’ai finalement voulu me dédier au dessin. Alors, je n’ai plus arrêté et ça a fait boule de neige. Aujourd’hui je vis de ce métier passion.
– Ah oui ?! Et que s’est-il passé pour que tu prennes le chemin du dessin finalement et t’y dédies ?
– A 28 ans, je voulais devenir vendeur automobile. J’en connaissais un rayon ! J’ai eu un entretien avec une recruteuse. Après l’entretien elle me dit « tu as une âme d’artiste. Si je t’acceptes, je vais te gâcher la vie ». Elle m’a recalé. Je suis sorti de là très contrarié. Mais avec le recul…
– J’ai cette conviction que lorsque nous nous alignons à nos talents nous gagnons beaucoup de sens et d’harmonie dans nos vies. C’est pourquoi j’exerce des fonctions qui se centrent sur les ressources et les talents des personnes que j’accompagne. Petits ou grands enfants (Rires) ! Tu dirais que ton talent pourrait avoir quel sens pour toi ?
– Je crois qu’il me permet d’aider les autres en remettant une petite dose de justice face à des situations naturellement injustes pour passer une vie meilleure…Tous ensemble…